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mardi 29 mai 2007

présentation lecture théâtre du pavé, juin 2006


6/06/05 13:08
Les deux jours qui viennent de se dérouler me laissent perplexe : vais-je réellement devenir « étranger dans mon propre pays ».
Mon premier contact avec un compatriote, qui en fait est « une » compatriote, se fait avec l’hôtesse de l’air à l’embarquement. Je lui dis « Salem » (Bonjour en arabe), elle me répond « Bienvenue à bord, monsieur » (En français). Je dois donc me résigner à patienter encore un moment avant d’entendre la langue avec laquelle je profère des insultes dans mes moments de grandes colères.

Il est inutile que je me serve dans le fatras de journaux locaux, d’autant plus que j’ai décidé de relire « Lolita » pour la énième fois. Comme à mon habitude quand je prends l’avion, je ne peux me contenter d’une seule ligne, alors j’en suis déjà à la vingt troisième page quand mon tour de passer à la douane arrive. Le douanier ne répond pas à mon « Salem ». Ce n’est peut-être plus l’usage en Tunisie de saluer de cette manière.

Par-dessus son épaule, j’arrive à distinguer sur le plexiglas de sa cabine, le reflet de l’écran de son ordinateur et surtout un gros rectangle rouge quand mon dossier s’affiche. Pendant un laps de temps, je me dis que cet instant pourrait être mon dernier d’homme libre et que le rectangle rouge indique mes petites participations politiques et dissidentes sur Internet contre la dictature tunisienne et que par conséquent je vais être arrêter, voire plus si affinités, mais non, « je suis le bienvenu » (En arabe).

7 personnes viennent assister au « Retour de l’enfant prodigue. » Sur la route de la maison, je compte 2 camionnettes, une moto et un gros 4x4 occupés par au moins 20 agents des « Unités d’interventions », une sorte de super-flicaillons. Petite précision tout de même : le trajet ne dure qu’un ¼ d’heure. J’étouffe déjà avant même d’être rentré chez moi, à voir, non, plutôt, à sentir concrètement dans l’air qui entre par la fenêtre, la répression ambiante et l’atmosphère délétère de ce pays dont je ne pourrai jamais me séparer mais dont le cordan-ombilical qui m’y lie m’étrangle.

En guise de dîner, j’ai droit à mon plat préféré que m’a préparé avec beaucoup d’amour ma chère mère qui m’adore mais qui malheureusement n’arrive pas à comprendre que je puisse m’attacher à de vieux vêtements déchirés et que je les préfère aux tout neufs et tout beaux qu’elle se propose de m’acheter avant mon retour en France sachant très bien que je ne le ferai pas de moi-même. Cependant, je lui concède au moins le don de prophétie, lorsqu’elle me dit que mes cheveux longs ne vont pas plaire. En effet, en c’est 24 premières heures, je me suis déjà fait raillé deux fois dans la rue… ce qui me rappelle un texte de Pasolini qui parle de cette haine des cheveux longs dans l’Italie des années 70, mais aussi une chanson de Ferré de la même époque où il dit :

« Quand j’emprunte des paradoxes, je les rends avec intérêts. J’enrichis mes prêteurs qui deviennent alors plus intelligents. Le taux usuraire de l’astuce n’est jamais assez élevé. Je ne sais pas d’où je viens mais je sais que je suis là, à reverdir, dans cette campagne toscane. Les rossignols teints au Gargyl chantaient des aubades pharmaceutiques. J’ai les cheveux trop longs... comme des voiles de thonier, mes beaux cheveux qu’on m’a toujours taillés, mes beaux cheveux longs dans ma tête. Dans la rue, on se retourne... Moi, je leur tire la langue ! »

Quand à mon père, il croit bien faire en installant dans ma chambre une nouvelle télé et un récepteur numérique avec 500 chaînes sauf qu’il a oublié que je ne regarde plus la télé depuis des années et des années. Ce détail n’est pas grave, il commence à être âgé.

On a la visite de pratiquement toute la famille : oncles, tantes, leurs maris et leurs femmes, leurs fils et leurs filles. Sans commentaire.

Je regarde dans le miroir et je ne me vois pas. Ce n’est pas que je sois disparu, je sais pertinemment que je suis devant le miroir, mais mon image le traverse et se perd au-delà de l’océan. Je suis un vampire qui se nourrit du sang du réel et qui disparaît dans les blessures du réel. Un réel qui pourtant ne le reflète pas tout en se reflétant dans ses yeux.

Depuis mardi 21h30, je n’ai pas eu le temps de lire une seule page de « Lolita », je n’ai pas allumé la télé ne serait-ce qu’une minute, je porte encore et toujours mes vieux vêtements déchirés et mes cheveux longs mais je n’arrive pas encore à donner un sens à ce retour.
14:30

21 juin
Si c’était une scène de film, il y aurait sûrement le court instrumental de deux minutes de Radiohead « Hunting bears » en fond musical mais c’est bien moi qui m’avance vers la mer et je n’entends que la clameur syncopée de la foule autour de moi. J’essaie en vain de me concentrer sur le bruit des vagues mais il y a bien trop de monde, c’est dimanche. Pendant des heures je regarde l’horizon en essayant de m’extirper du brouhaha dans lequel je suis immergé en me disant que l’horizon est l’endroit où je souhaiterai mourir. « Mourir à l’horizon » est un joli titre de roman ou de poème je trouve. Cà pourrait être aussi celui de cet envoie.
Pour moi, le ciel, la mer et l’amour, c’est la même expérience mystique. Quand je me repose adossé à la mer à des centaines de mètres de la côte, fatigué d’avoir nagé si loin ; quand je regarde la terre par delà les nuages à travers le hublot de l’avion ou quand je jouit à l’intérieur de la personne que j’aime, je ressens le même sentiment : celui de l’apprivoisement de la mort.
J’ai lu il y a presque deux ans maintenant un article dans une revue scientifique sur la genèse des océans qui expliquait qu’avant l’apparition de la vie sur terre, une comète venant mourir sur notre planète avait engendré l’apparition de l’eau, des mers et des océans à la surface du globe. Ainsi, la mer serait la fille du ciel. Et l’horizon serait par conséquent une sorte de paradis perdu où le lien originel est possible. L’endroit d’où partent les caresses de la mère sur le corps de sa fille. Des caresses qui me traversent, ou que je traverse, lorsque je tente de me rapprocher de ce possible, impossible à approcher. Ces tentatives ont du moins le mérite d’apprivoiser ne serait-ce que de façon illusoire, un autre impossible à vivre, celui de la mort.
La mer est une femme nue dont la peau est un miroir qui se laisse pénétrer par la lumière. Je suis dans le ventre de cette femme, je nage dans ses entrailles. Je m’écorche la peau à essayer de m’injecter dans ses veines opaques et granuleuses mais je n’ai plus d’air dans les poumons, je dois remonter à la surface. Le ciel est paradoxal : mâle et femelle, vide et plein, vie et mort ; comme une femme. Le ciel est sexuel, Eros : orgasme ultime de l’étoile qui meurt en explosant ; ovulation de la terre par une comète ; éjaculation de la lumière et de la pluie. La nuit unit le ciel avec la mer, le corps avec le corps et les racines avec les branches de toute vie.
Tout çà pour dire que je suis allé à la mer aujourd’hui.
A très bientôt.

ismaël

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